Où ils trouvèrent ce qu’ils n’avaient jamais cherché

Chine - Février 2016

« Les voyageurs sont par trop pressés, de nos jours, pressés d'arriver, d'arriver à tout prix, mais ce n'est pas seulement au bout du chemin que l'on arrive. A chaque étape on arrive quelque part, à chaque pas on peut découvrir une face cachée de notre planète, il suffit de regarder, de désirer, de croire, d'aimer. » [Amin Maalouf, Samarcande]

Après s’être familiarisés en douceur avec la Chine à Pékin et Hong-Kong, le temps est venu de plonger au cœur de cet immense territoire un peu inquiétant, à la conquête des terres du Sud. Nous embarquons à bord d’un train pour Canton, à quelques heures seulement de Hong Kong, où nous espérons trouver un transport pour rejoindre au plus vite la province du Guangxi.

En cette veille de nouvel an Chinois, il semble que tout le pays s’est donné rendez-vous à la gare de Canton et déploie des trésors d’agressivité pour accéder aux guichets dans une cacophonie assourdissante.

Lorsque nous atteignons Canton, c’est une fois de plus une pluie battante qui nous accueille. Une de ces pluies de mousson, dense et collante, qui semble s’être égarée en ce mois de Février. En l’espace de quelques minutes, les grosses gouttes qui tombent sans discontinuer ont traversé nos couches de vêtements et nous sommes trempés jusqu’aux os. Sans avoir le temps de réaliser ce qui nous arrive, nous voilà emportés par une vague humaine, piétinés par des milliers de chaussures humides, sonnés par des coups de parapluie. En cette veille de nouvel an Chinois, il semble que tout le pays s’est donné rendez-vous à la gare de Canton et déploie des trésors d’agressivité pour accéder aux guichets dans une cacophonie assourdissante. Lessivés dans tous les sens du terme, nous nous déclarons vaincus et renonçons à acheter des billets. Nous trouvons refuge dans une petite auberge de la ville et nous endormons d’un sommeil lourd et sans rêves.

Au petit matin, Canton a repris des couleurs. Le ciel a quitté son lourd manteau nuageux, et les premiers rais de soleil déversent une pluie de paillettes dorées sur la chaussée encore humide. Ici et là, de larges flaques d’eau font miroiter des morceaux d’un ciel limpide. Les feuilles des arbres qui bordent les rues étroites scintillent dans le soleil.

Régénérés par la lumière chaude, nous parcourons gaiement les ruelles de la ville, déjà animées aux premières heures du jour. Le long des trottoirs, les étals de raviolis fumants diffusent une odeur alléchante. Installés sur de petits tabourets en plastique, les chinois avalent ces bouchées brûlantes ou aspirent leurs nouilles avec grand bruit. Plus loin, le marché aux épices et plantes médicinales rassemble racines de gingembre, peaux de lézard séchées, épices de toutes sortes, dans un festival de parfums plus ou moins heureux. Au terme de notre ballade, nous atteignons les berges de l’impressionnante « rivière de perles », large de plusieurs centaines de mètres, d’où nous apercevons l’architecture futuriste de la ville moderne.

Après cette étape imprévue mais heureuse, notre route nous mène sur les terres de la province du Guangxi. Dans le bus qui nous éloigne de Canton me revient en tête cette photo qui faisait la Une d’un magazine sur la Chine sur lequel j’étais tombé au détour d’un kiosque à journaux parisien. Une de ces photos de paysages qui vous marquent durablement et vous font rêver d’un endroit lointain et exotique. On y voyait, à la nuit tombée, un pêcheur coiffé d’un large chapeau chinois et accompagné d’un oiseau majestueux, installé sur un radeau flottant, au milieu de formations rocheuses impressionnantes. Le pêcheur tenait entre ses mains une lampe à pétrole qui projetait autour de lui une aura de lumière jaune, reflétée dans l’eau de la rivière. J’avais instantanément adoré cette image, son atmosphère mystérieuse, presque mystique. J’avais alors acheté le magazine, et je m’étais promis de retrouver cette scène pendant notre voyage. (Vous pouvez voir ici une image similaire.)

A travers les prairies verdoyantes, ou près de petits moulins à eau, nous prenons le pouls de la vie rurale chinoise.

Nous nous installons dans une auberge de jeunesse de la petite ville de Yangshuo. Sans charme, ses rues rassemblent échoppes de souvenirs, magiciens ambulants et autres aimants à touristes. Nous partons dès le lendemain à moto à la découverte de la campagne chinoise environnante. Bien vite, les boutiques de souvenirs laissent place à des paysages idylliques. Des heures durant, nous parcourons les chemins de terre bordés de prairies et de plantations, traversons de paisibles petits villages, puis nous longeons les bords de la rivière Yulong, entourés de pics rocheux massifs. Le soleil éclaire la campagne d’une lumière délicate, et l’air encore frais de cette fin d’hiver qui se faufile sous nos vêtements nous fait doucement frissonner. A travers les prairies verdoyantes, ou près de petits moulins à eau, nous prenons le pouls de la vie rurale chinoise. Les paysans s’échinent dans les plantations le dos courbé, ou font paître leurs buffles d’eau dans les rizières inondées. Une Chine paisible et authentique, qui offre au sortir de l’hiver des couleurs douces, joliment passées, à la manière d’une aquarelle.

Le lendemain, nous nous mettons en quête de cette image un peu magique qui n’a pas quitté mon esprit. Nous réalisons rapidement que la photo a sans doute été prise sur les berges de la rivière Li, cadre qui a également servi de modèle au dessin qui orne les billets de 20 Yuan. Une fois de plus, nous quittons les rues bruyantes de Yangshuo sur notre désormais fidèle deux-roues et nous mettons en route. A l’arrivée, l’endroit est fort joli, mais il est envahi de touristes, ponctué de boutiques de souvenir, et gâché par nombre de constructions qui bordent la rivière. Rapidement, j’apprends que la pêche à l’aide de cormorans domestiqués n’est plus pratiquée depuis longtemps mais que des comédiens sont disponibles pour recréer la scène afin que nous puissions la photographier…

La déception est à la mesure des fantasmes que je m’étais créés. Je repense alors à ce que m’avait dit ma chère amie Laurène alors que, de retour d’un merveilleux voyage en Jordanie, j’avais offert avec enthousiasme de lui montrer mes photos : « Je crois que je ne préfère pas. J’aimerais beaucoup aller en Jordanie un jour, et je veux me réserver la surprise ». Sur le coup, un peu vexée, je n’avais pas compris sa réaction. Je m’étais dit qu’on voyait chaque jour, sur les réseaux sociaux, à la télévision, même dans le métro, des belles images de destinations exotiques, et que jamais ça ne m’avait gâché le plaisir de découvrir un lieu magique de mes propres yeux.

Jamais jusqu’à ce jour, et jusqu’à cette photo. Une photo si belle et puissante qu’elle a emprisonné mon imaginaire, et inhibé ma capacité d’émerveillement. Elle m’a fait désirer quelque chose qui ne m’appartenait pas, un moment unique à jamais figé dans le passé. Elle m’a fait chercher quelque chose qui n’existait pas, courir après une chimère. J’ai compris, ma Laurène, et je promets de ne plus tenter d’emprisonner tes rêves de voyageuse.

Je compris aussi que notre aventure ne ressemblait pas et ne ressemblerait jamais à un catalogue de séjours Nouvelles Frontières, ou un profil Instagram. Notre voyage est beau parce qu’il est unique, ponctué de rencontres inoubliables et indescriptibles, de changements de programme, de découvertes inattendues, d’égarement sur de charmants chemins de traverse, et de photos floues. La beauté du voyage ne s’encombre pas d’une destination. Notre voyage est beau à chacun de nos pas.

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Le 15 janvier 2024

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